A la vie, à la mort

base de loisirsLe réveil sonne le matin et j’entends une voix à la radio qui raconte une tragédie. Un garçon de 14 ans est mort noyé. Il ne savait pas nager et il s’est jeté dans un canal, après y avoir été « incité » par d’autres garçons de son âge. Alors, encore un peu endormie, je voyage dans l’espace et dans le temps…

Montevideo. J’ai 7 ans. On m’a inscrite dans un club sportif pour que j’apprenne à nager. J’y vais pour la première fois. Ma mère n’a pas pu m’emmener. Pourquoi ?
C’est mon plus jeune oncle, de dix ans mon aîné qui m’accompagne. Comme il ne peut pas entrer dans le vestiaire des filles, il me lâche à la porte en me disant : « à tout à l’heure ». Je me sens perdue. Mes cheveux sont longs et je dois les mettre dans un bonnet tout serré. Les autres filles sont aidées par leurs mamans. Mais où est la mienne ?
Cet endroit me fait peur. Je ne connais personne. Il faut se dépêcher, le cours va commencer.
Je me revois dans l’eau, au milieu de plein de petites filles de mon âge. Je me tiens au bord de la piscine. Il y a beaucoup de bruit. Ça résonne. Un des maîtres nageurs pointe son doigt.
Toi ! Est-ce à moi qu’il parle ? Oui, toi. Va là-bas ! J’obéis. Même si je suis loin d’être sûre que c’est à moi qu’il s’adresse. Mais puisque personne d’autre n’a l’air de se sentir concerné autour de moi…

Là-bas, c’est de l’autre côté de la piscine où d’autres enfants, que je rejoins, font la queue. On avance pas à pas. Mon tour arrive. C’est haut ! J’ai peur, c’est sûr, mais je suis une fille qui ne désobéit pas. Ce qu’on me dit de faire, je le fais. Alors j’y vais. Je saute. Du trampoline.

Très vite, quelqu’un se jette à l’eau et vient me sauver de la noyade. Moi qui croyait bien faire ! Maintenant on m’engueule. Ce n’était peut-être pas à moi qu’on s’adressait un peu plus tôt finalement.
Mais qu’est-ce qui t’a pris ? Que fais-tu de ce côté si tu ne sais pas encore nager ?
Ben, quelqu’un m’a dit… J’ai cru…

Une fois leur frayeur passée, ils m’oublient complètement. Le cours se termine et mon oncle m’attend à la sortie, comme convenu. Personne ne lui dit. Moi non plus. Nous rentrons tous les deux en bus. Mon père paiera mon inscription pour rien pendant plusieurs mois. Il n’y a pas l’ombre d’un doute : je ne reviendrai plus jamais.

Aujourd’hui, plus de trente ans plus tard, je me demande encore. Mais où était donc passée ma mère ce jour là ? Est-ce le jour où la terrible nouvelle est tombée ? Était-ce là le début de la fin de la joie des Noëls en famille ? Ou est-ce moi qui ai tout mélangé dans ma tête ? Peut-être que le temps s’est chargé d’amalgamer tous ces souvenirs. Si je pouvais revenir en arrière, juste quelques secondes, je ne poserai qu’une seule question : la date, s’il vous plaît. Je pourrais ainsi enfin savoir si ma mère était alors en train de pleurer son frère aîné, encore sous le choc de la nouvelle de son assassinat à l’étranger.

Au moment où j’écris, nous sommes le 5 juillet. Un garçon est mort hier, à 14 ans. J’ai moi aussi un fils de 14 ans. Et un deuxième dont c’est le dixième anniversaire. Nous l’avons fêté par anticipation samedi, avec 5 de ses amis, pour ne pas risquer qu’il y en ait qui partent en vacances et qui ne puissent pas venir. Nous les avons emmenés dans une base de loisirs et deux minutes après notre arrivée, ils étaient déjà partis se baigner en courant. Ils savaient tous nager. Moi, toujours pas. Ça ne nous a pas empêché de nous amuser comme des fous. Je m’en souviendrai comme du meilleur anniversaire de dix ans de toute ma vie ! 🙂

Mes enfants me manquent ce matin. Depuis samedi en fait, à l’heure où je les ai laissés, le soir, avec leur père. Du coup, je n’arrête pas de me demander : mais que puis-je donc bien être en train de faire, moi, leur mère, en ce moment, toute seule chez moi ?

A propos auxecrires

Femme, mère de 2 enfants, quadra, habitant en région parisienne...
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2 commentaires pour A la vie, à la mort

  1. Yola dit :

    J’ai vécu une expérience semblable à la tienne. Et je crois que pendant des années avant d’entreprendre quelque chose je me disais, plus ou moins consciemment, je ne me jette pas à l’eau sans ma bouée 🙂

  2. auxecrires dit :

    Ah, voilà qui donne à réfléchir. Belle image !
    Pour ma part, j’ai souvent beaucoup de mal à bouger tant que je n’ai pas compris exactement le pourquoi du comment, l’objectif, où je vais et quelles sont les différentes étapes pour y arriver. Je ne suis pas vraiment du genre à agir d’abord et à ne penser qu’ensuite. Mais peut-être n’ai-je pas toujours été ainsi ? 🙂

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